Le babouin soldat

Jackie, le babouin soldat

Un jeune babouin, séparé de sa troupe, perdu et affamé,  errait seul autour de la ferme de la famille Marr, à Villéria en Afrique du sud. Là bas, on se méfie des babouins, considérés comme sauvages et dangereux, et étant assez agressifs.

Cependant, à force de patience, Albert, jeune garçon de la famille, parvint à apprivoiser le primate, et même à le dresser ! Devenant inséparables, amis même, le babouin est adopté par la famille qui s'y attache profondément.

Lorsque la première guerre mondiale éclate, Albert restera à la ferme pour aider, mais comme nombre de jeunes hommes abreuvés de propagande et de sentiment patriotique, il finira par s'engager et sera mobilisé en aout 1915 au 3éme régiment d'infanterie sud africaine. Se refusant à laisser Jackie, qui supportait mal le sentiment d'abandon, et voyant les antilopes et autres kangourous servir de mascottes à divers régiments, Albert fit alors la demande d'incorporer son singe également. Le comportement exemplaire de Jackie, saluant les officiers, allumant les cigarettes de ses camarades et sachant manger au mess avec un couteau et une fourchette le firent vite accepter de tous,

Jackie, en bon soldat, mange proprement à table avec des couverts.

Jackie, en bon soldat, mange proprement à table avec des couverts.

Jackie et Albert avec leurs camarades de régiment.

Jackie et Albert avec leurs camarades de régiment.

Il fut décidé qu'en tant que véritable soldat, il lui serait confectionné un uniforme sur mesure. C'est ainsi qu'il devint un camarade a part entière du 3éme South Africa régiment « transvaal ».

Outre pour le maintien du moral, Jackie se montra un subalterne dévoué et très utile, son ouïe fine et sa vue perçante lui permettant de remarquer les mouvements anormaux chez l'adversaire. Lorsque quelque chose n'était pas normal, il hurlait, montrait les dents en direction du danger et tirait Albert par la manche pour l'inviter à la prudence.

Lors du baptême du feu de l'incroyable duo, en Egypte contre les troupes alliées de l'empire Ottoman, Albert fut blessé par une balle à l'épaule, et Jackie lui sauva la vie en hurlant pour appeler du secours et en léchant la plaie, empêchant sans le savoir la gangrène de s'installer dans la blessure. Quand Albert fut évacué, son singe refusa de le laisser et grimpa sur le brancard transportant son maitre et ami pour continuer de veiller sur lui. De retour au front, c'est en France que Jackie et Albert continuèrent de susciter l'étonnement, partant à l'assaut ensemble, veillant en duo dans les tranchées, inséparables en toute circonstance.

En avril 1918, en Belgique, un cruel accident allait cependant marquer Jackie pour toujours... Lors d'un violent bombardement, tandis que les hommes tentaient de se terrer pour échapper aux obus, le pauvre animal, complétement effrayé, les imita et se mit à creuser et transporter des pierres pour construire un abri, mais une explosion proche le blessa au bras et lui arracha à moitié la jambe. Hurlant, souffrant le martyre, Jackie apeuré continua pourtant son labeur, ne se laissant approcher que par Albert, qui le prit dans ses bras et courut en pleurant implorer l'aide du Lieutenant Colonel Woodsen du médical Corps : « faite quelque chose pour lui, pitié supplia-t'il, il m'a sauvé la vie en Egypte, je vous en prie aidez le... » Woodsen, ému, témoigne : « Le babouin était gravement blessé, une jambe pendante avec des lambeaux de muscle, une autre blessure au bras droit. Nous avons décidé de lui donner du chloroforme et de panser ses blessures. S'il mourait sous anesthésie, ce serait peut-être la meilleure chose à faire. Comme je n'avais jamais administré d'anesthésique à un tel patient auparavant, j'ai pensé que ce serait le résultat le plus probable. Cependant, il a bu le chloroforme comme s'il s'agissait de whisky. Il était simple d'amputer la jambe avec des ciseaux et j'ai nettoyé les plaies et les ai soignées aussi bien que j'ai pu ».

Carte postale présentant Jackie, amputé, en héros de guerre.

Carte postale présentant Jackie, amputé, en héros de guerre.

Albert Marr et Jackie.

Albert Marr et Jackie.

Le courageux singe ne mourut pas...

Au lieu de cela, en pleine convalescence, il continuait même fièrement de se dresser sur son lit pour saluer les officiers qu'il voyait, eux-mêmes impressionnés par ses facultés de rétablissement.

Jugeant qu'il pouvait être un atout pour le moral des soldats blessés devant surmonter eux aussi un handicap, Albert et Jackie furent alors mandés par le médical corps afin de participer à des galas de charité. En échange d'une pièce, on pouvait serrer la main du courageux singe, ou obtenir un baiser de lui... Et les deux amis récoltèrent une somme considérable d'argent au profit des blessés de guerre.

Lors de galas de charité organisés au profit des blessés de guerre, on pouvait acheter une poignée de mains ou un baiser du héros.

Lors de galas de charité organisés au profit des blessés de guerre, on pouvait acheter une poignée de mains ou un baiser du héros.

Devenus des célébrités, ils ouvrirent le défilé de retour en Afrique du Sud après la guerre, où ils reprirent leur paisible vie en avril 1919, affrontant ensemble le stress post traumatique dont ils souffraient, tel des amis anciens combattants.

Mais le traumatisme fut peut être plus fort pour Jackie, qui, affolé par le bruit du tonnerre pendant une nuit d'orage, ne parvint pas à être calmé par Albert. Le babouin, se rappelant sans doute la frayeur et la douleur du bombardement d'avril 1918, mourut d'une crise cardiaque le 22 mai 1921 alors qu'un éclair tombait à côté de la maison.

Albert Marr n'oublia jamais son ami, et s'éteignit en aout 1973 à l'âge de 84 ans, en n’ayant plus jamais quitté ses terres où reposait Jackie qu'il avait enterré les yeux pleins de larmes le lendemain d'une nuit d'orage de mai 1921...

Blessé physique et psychologique de guerre, à l'image de nombreux soldats. Victime anonyme retombant doucement dans l'oubli...